La foire aux vanités
DD
Difficulté ****
Profondeur ***
Originalité ***
Emotions ***
Thackeray écrivait durant la gloire de Dickens et sa renommée, comme son ego, en ont souffert. Pourtant son style sardonique et sa modernité le distinguent du grand Charles et son chef d’oeuvre, "la foire aux vanités", démontre l’étendue de son talent.
Le titre « Vanity fair », utilisé avec une certaine naïveté par un célèbre magazine féminin, annonce d’entrée de jeu le propos : tout est vanité, tous seront moqués et le narrateur est de notre côté. Car Thackeray brise le 4e mur, comme Sterne ou Gogol, donne son analyse au lecteur et lui évoque l’avenir des personnages !
La plume de l’écrivain, un peu ampoulée, imite la préciosité et la prétention des personnages, vains et pompeux. Elle mue vers la précision et la finesse dans les interventions de l’auteur narrateur et ses traits directement adressés aux lecteurs. L’œuvre s’appuie aussi sur cette figure stylistique spécifique des grandes épopée familiales (chez Bronte ou Garcia Marquez) : la dénomination identique de membres différents d’une même famille. Tous se dissolvent ainsi de façon hypnotique dans leur nom propre (si mal nommé). Les Pitt, les Osborne, les Crowley se succèdent souvent sans prénom ou avec le même, avec le même sexe, à peine différentiable par leur titre.
Comme dans « Lolita », « Don quichotte » ou « l’homme invisible », les personnages de « La foire aux vanités » oscillent dans l’ensemble entre pathétiques et égotistes. Au milieu de cette fange pitoyable, les 3 personnages principaux développent heureusement des qualités. Si le major Dobbin frôle la perfection morale, les deux réelles héroïnes du roman incarnent des psychés opposées et fournissent des caractères réalistes. Dans une modernité rare, leurs qualités respectives les placent très au-dessus des personnages masculins.
Toute l’œuvre de Thackeray s’est efforcée de refléter l’absurdité de la conduite de ses proches contemporains, minée par des vices bourgeois sans labeur et une prétention aristocratique sans noblesse. Les Osborne, les Pitt et les Crowley défilent sans jamais trouver ce qu’ils cherchent, grandeur, pouvoir ou argent, et leur médiocrité ne leur permet même pas de comprendre leur responsabilité intrinsèque dans l’échec.
Ouvrage massif, comme en ont réussi Sterne, Cervantes, Burgess ou Bocaccio, « La foire aux vanités » est une description complète et parfaitement littéraire de l’Angleterre victorienne. Cette analyse s’applique évidemment à notre propre structure sociale. Car Thackeray interroge, à la fois via l’histoire mais aussi par des remarques directes, sur le sens de la vie et transcende son sujet pour le rendre universel et intemporel.