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Les puissances des ténèbres

Difficulté ****

Profondeur ***

Originalité ****

Emotions ***


Un des trois auteurs officiellement homosexuels de la BE (avec Proust et Wilde), Burgess affiche clairement son orientation et délivre un texte relativement cru (mais moins que Roth ou Miller). Le titre tapageur est ainsi un pied de nez à l’homophobie religieuse dont l’écrivain a souffert. On pense d’ailleurs à « portait d’un artiste en jeune homme » dans ce conflit intérieur entre religion et sexualité. L’ironie vient également du recul et de la désinvolture du narrateur : le héros de « la puissance des ténèbres » n’est enclin ni à la grandiloquence, ni à la dramaturgie. 


L’histoire n’est en effet que la vie d’un écrivain racontée à la première personne, personne qui ressemble singulièrement à l’auteur. Or l’auto-fiction est à l’écrivain ce que la masturbation est à un acteur porno : un nombrilisme problématique. Si Burgess a le mérite, au contraire de Sterne et Joyce, de construire un vrai récit, imbibé de l’histoire du XXe siècle, et de dérouler une existence riche en lieux et en personnages, il n’en reste pas moins cette impression parfois lassante de parcourir une suite de souvenirs. 


Telle était d’ailleurs probablement la façon dont l’auteur voulait présenter sa vie : une suite chaotique de rencontres, sans but précis, ni chef d’œuvre digne de la pérennité. Cette étrange modestie, au regard de sa bibliographie, interpelle. Car la plume de Burgess est riche, élégante et précise, évoquant parfois Joyce avec son intérêt marqué pour les langues étrangères : allemand, italien, latin, malais … 


Prolongeant la mise en abîme d’un écrivain qui décrit une vie d’écrivain, les références littéraires classiques (une collection de la BE : Shakespeare, Swift, Goethe, Boccaccio, Wilde, Dickens, Dante, Cervantes, Conrad, Balzac, Dumas, Flaubert, Hugo, Maupassant) viennent s’entrechoquer avec les écrivains contemporains de l’auteur évoqués ou croisés dans l’histoire : Joyce, Mann, Hemingway, Rilke, Huxley, Kipling, London, Orwell (seul le poète n’est pas dans la BE). Cette omniprésence de la littérature dans le récit formalise-t-elle la métaphore de la prison fictionnelle qu’est cette œuvre pour son auteur ?


Non, car Burgess apporte plus que Joyce ou Miller : il ne se contente pas de se raconter, il raconte aussi le siècle, le monde, la littérature, la famille, l’amour, le couple et l’évolution du christianisme. Et ce long récit sur plus de soixante ans contient ainsi une matière profonde, riche et vraie. Cet énorme ouvrage (plus long que « l’archipel du goulag » ou « vie et opinions de Tristram Shandy ») nécessite une lecture régulière et obstinée pour bien appréhender la perspective historique et les liens affectifs du héros à travers les rencontres récurrentes de ses proches.


Car l’auteur narrateur dépasse son cynisme et sa misanthropie pour développer des personnages touchants qui rythment son existence. Burgess transcende ainsi cette autobiographie fantasmée pour en faire une œuvre universelle et humaniste. 

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